Au gui l’an neuf

A

chaque surgissement d’un phénomène cyclique comme l'arrivée du printemps ou le nouvel an, nos interrogations sur le temps et sa nature reviennent. Le temps qui passe est-il un éternel recommencement, la répétition du même ou, inversement, le temps du changement ?

La prééminence du temps linéaire aujourd’hui correspond à une conception du monde eschatologique ; cette vision est influencée par la bible qui, partant de la genèse à l’apocalypse, a donné une direction au temps. L’intervention du progrès a intégré au temps une marche dynamique, positiviste, marquée par le changement et la projection permanente dans le futur, ce temps meilleur ?

La tradition des vœux n’échappe pas à cette nouvelle conception du temps. A l’origine, ”Au gui l’an neuf” provient d’une tradition celtique dont le texte était "O ghel an heu", ce qui signifie "Que le blé se lève". Les druides, au solstice d'hiver, célébraient le renouveau et la renaissance de la nature en espérant qu’elle soit bienveillante avec les hommes. Pour conjurer le sort, ils coupaient le gui, une plante considérée sacrée et miraculeuse. Les Chrétiens ont bien tenté de faire cesser cette tradition jugée trop païenne à leurs yeux, mais la culture populaire en décida autrement. La célébration du renouveau de la nature, phénomène cyclique, évolua au fil des siècles vers une entreprise votive, non pour remercier des bienfaits passés, ou célébrer un présent singulier, plutôt pour s’orienter vers les temps à venir et manifester l’espoir d’un changement ultérieur. Dans l’anthropologie du don, la tradition votive renvoie à une puissance supposée bénéfique. Car le vœu, permet de tisser une série de liens invisibles entre les temps mais aussi entre les gens... Ces objets votifs fonctionnent alors comme des interfaces engageantes et agissantes sur un mode sensible et affectif.

La résolution, quant à elle, s’apparente à un vœu pour soi, doublé d’un engagement. L’affirmation d’une volonté dans une étape nouvelle, peut être différente, où, portée par la surprise d’être toujours là, et peut être par la reconnaissance d’être toujours là, ferait que l’impossible hier devienne possible demain.

D’ailleurs, même si le vœu n’est pas exaucé et la résolution non tenue, le fait de les formuler est parfois suffisant, comme une cristallisation, une opportunité d'identifier nos désirs et nos espoirs.

Le vœu comme l’engagement ne seraient que les promesses faites et attendues d’un temps nouveau.

Pourquoi s’en priver ?

 

Au gui l’an neuf

 

se maintenir, résister à l’écoulement du temps

s’attacher à l'impermanence

se départir avant tout

 

accomplir l’ambition de l’homme

vers l’infiniment humain

 

courir jusqu’à perdre haleine

courir et dépasser son ombre

courir pour échapper aux ombres

 

renoncer à la volonté de maîtrise

pleurer son ego

faire le deuil de puissance

 

jouir de moins

heureux de sobriété

 

renoncer à  saisir

et réduire en poussière

 

faire sa vie

sans rien défaire

 

non pas extraction de richesses

plutôt œuvre de partage

comme le feu, le savoir ou l’amour

se transmettent sans s’épuiser

 

avoir des cathédrales en tête

et l’ardeur des bâtisseurs

 

concevoir ce qui n’est pas là

découvrir ce qui est déjà là

 

façonner son paradis

libre de dieu

libre des hommes

libre des choses

 

vivre

de son vivant

ne pas céder un pouce à la mort

 

être

persévérer dans l’être

ne pas cesser d’être en devenir

 

être présent à soi-même

être présent aux autres

 

laisser fleurir la joie

attentif à la rencontre

du commun au singulier

du semblable à l'étranger

 

sortir de l’attente

s’obliger à l’espoir

combler l’illusoire inachèvement

 

ne plus avoir à gérer

juste s’en débrouiller

réussir ses ratages

rater mieux encore

 

chercher la connaissance

hors de l'asile de l'ignorance

choisir la vérité contrariante

non pas la conformité

et la perception anecdotique du monde

 

surmonter la peur

sortir du choc des cultures

sortir du choc des incultures

 

de rages, de cris

de refus, de retraits

par fatigue de céder

aux injonctions du monde

l’absurde des temps

les dogmes inconsistants

 

avoir l’inconscience d’aimer

et le courage d’aimer encore

 

saisir les sens

donner des sens

non point chercher le sens

 

retirer les masques

vraiment retirer les masques

partir, partir, partir,

 

non pour conquérir ou parvenir

partir pour se perdre ou se retrouver

partir pour accomplir ou ébaucher

partir pour rencontrer ou explorer

 

juste partir

Hakam EL ASRI

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Allez explorer !

Image par Peter H de Pixabay
Image par Peter H de Pixabay

 

L'araignée n’est jamais prisonnière de sa toile

le serpent ne meurt pas de son venin

l’homme chavire en son mal être

 

Loin de l’agitation du monde

loin de l’attention ravie et vagabonde

loin des ambitions éphémères

loin des sidérations délétères

 

Aimer vivre

c’est apprendre à vivre

c’est apprendre à aimer

 

S'accommoder d’apparences

des illusions du temps

celui qui passe et ressasse

 

Accepter la béance

des choses qui manquent

et des amères absences

 

Nourrir d’une même constance

autant les sublimes amours

que les brèves étreintes

 

Aimer vivre

c’est apprendre à vivre

c’est apprendre à aimer

 

Saisir l'évanescence

de ce qui éclot un jour

pour disparaître à jamais

 

Prendre conscience

que notre ultime présence

est simple contingence

 

Aimer vivre

c’est apprendre à vivre

c’est apprendre à aimer

 

Naître encore et encore

Jusqu’à n’être que mort

 

Trouver le réconfort

oublier, se départir, repartir,

recommencer, revivre et survivre

 

La pensée ne peut tout contenir

l’émotion ne peut tout tarir

la sensation ne peut tout assouvir

le sentiment ne peut tout chérir

 

Allez en quête, allez explorer

en vous l’inconnu profond

les continents ignorés

l’intime du moment

les temps immémoriaux

et ceux à venir

 

Allez en quête, allez explorer

aimer vivre

 

 

Hakam EL ASRI

Avec mes meilleurs vœux

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L'ère des crises

I

l y a quelques mois, j’avais écrit un post sur la crise sanitaire que nous vivons “une crise salutaire ?”…mais la crise persiste !

Je sais, la littérature relative à cette crise quoique redondante est déjà conséquente. En réalité cela ne fait que commencer car nous sommes toujours dans l'œil du cyclone et nous sommes encore loin du compte.

Nous sommes loin d’avoir épuisé l’analyse relative à l’origine de la crise où les causes anthropiques et naturelles se conjuguent. La responsabilité de l’homme y est sans doute indirecte mais elle est bien réelle avec le changement climatique, l’environnement agressé, la fragmentation ou la disparition des habitats naturels… Bien avant le SRAS-COV2 (Corona virus) il y a eu une multitude de crises sanitaires dont le Sida, l'encéphalopathie spongiforme bovine (vache folle), la grippe aviaire, la grippe porcine, le SRAS-1 et très récemment, Ebola, le Zika…

On est encore loin d’avoir examiné nos rapports aux contingences de la crise, notre rapport au risque, à l’incertain, et les supposés mesures prophylactiques mises en œuvre. Si le confinement, le couvre-feu les restrictions de toutes sortes liées à la pandémie ont eu pour conséquence de limiter la propagation du virus -et encore-, les répercussions humaines, culturelles, économiques… sont d’une telle ampleur que cela se résout en définitive dans une crise systémique majeure. Nos rapports à la vie, la liberté, la sécurité, le grand âge, l’isolement, le temps, le travail, … sont particulièrement chamboulés.

Nous sommes encore loin d’entrevoir les incidences à long terme et les changements sociétaux qu’une telle crise peut induire.

Sommes-nous d’ailleurs à vivre une simple perturbation un peu trop longue mais que nos sociétés sauront surmonter dans une démarche homéostatique sans remise en cause majeure de nos façons de faire et de vivre, comme si de rien n'était ? Dans quelques temps, on verra peut-être non seulement la continuation du passé mais des effets d’aubaines et des effets de rattrapages préjudiciables se faire jour.

Sommes-nous au contraire à vivre une réelle rupture, une crise fondamentale, qui questionne notre capacité à penser l'incertain et à imaginer des réponses inédites et la création de nouveaux récits collectifs qui, non seulement donneront un sens à ce que nous vivons aujourd’hui, mais qui permettront de nous projeter dans d'autres futurs possibles.

Peut-être en sommes-nous à l’ère des crises qu’Edgar Morin prédisait pour le siècle dernier. La crise au cœur de notre temps, autrement dit, une situation de crise permanente, consubstantielle à nos façons d’être et de faire.

Une crise fondamentale est une énorme distorsion d’un ordre social assidûment construit, nécessairement l’expression de rapports de forces et de considérations idéologiques établis…  La crise, c’est l’entrée par effraction d’un phénomène nouveau avec lequel on doit désormais compter. Cette crise fondamentale est peut-être l’expression de la faillite d’un temps et la perte d’un monde mais aussi une opportunité pour le redéploiement de l’imaginaire social.

Entre la tentation conservatrice et la projection innovante, le défi que nous avons est de devoir faire différemment. Serons-nous à la hauteur de ce changement de paradigme, en mesure de nous sortir de notre engourdissement ontologique et penser hors du cadre habituel notre place dans et notre rapport au monde ? Saurons-nous concevoir un temps et un monde nouveau ?

Ce n’est pas si simple de défaire et refaire avec les mêmes et en particulier ceux qui ont failli. Là, je me tourne vers notre jeunesse, cette jeunesse qui pense encore -un peu beaucoup- à la fête dont elle a été privée mais qui saura, j’en suis certain, sublimer sa frustration l’heure venue et se montrer ambitieuse pour construire les fondations d’un monde quelque peu différent de celui que nous lui léguons...  Je me garderai bien de donner quelque injonction que ce soit, mais je me prends à penser qu’il serait bon pour elle et avisé de rompre avec l’ère des crises dont nous avons la responsabilité, de nous laisser macérer dans nos contradictions et nos déboires existentiels et de se lancer assidûment à rétablir et concrétiser l’ère des utopies.

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4/ Prise de décision

J

’avais écrit il y a quelques temps un post un peu philosophique sur la décision, sa genèse et le triptyque qui la détermine de mon point de vue. Souvenez-vous, cela s’appelait ‘Le dilemme de l’âne’.  Cette préoccupation est toujours mienne, je le concède volontiers. Une recherche constante dans l’espoir peut être vain de ne pas finir comme l’âne du Buridan!

Une question d’une grande actualité aujourd’hui au regard des temps incertains, de l’importance des décisions prises ou à prendre et surtout des mécanismes qui président à leur élaboration. Les éléments discutés dans ce précédent écrit recouvrent ce qui me paraît essentiel dans la prise de décision, en particulier :

- le sujet, ce qui le détermine comme l’expérience subjective, l’affirmation du désir et les valeurs, fondement de l’être ;

- l’objet, qui bien qu’en extériorité, constitue en réalité une construction-représentation de l’environnement tel que perçu par le sujet ;

- le projet qui manifeste l’expression et la récurrence de nos choix, créant de fait notre propre déterminisme.

Ces éléments constitutifs peuvent s’appréhender tout autrement à travers ce que la psychologie sociale appelle biais cognitifs. Finalement cela explique beaucoup de choses : les décisions absurdes, la persistance dans l’erreur... en la matière personne ne semble être à l’abri. Que ce soit les grands de ce monde et leur prétention à incarner l’action humaine et façonner le destin des nations, ou le commun des mortels -vulgum pecus, je n’ai pas dit servum pecus!-  pour les décisions et les tracas du quotidien qui font le sel et de la vie.

Nous ne pensons pas comme nous pensons penser ! Notre cerveau se construit en permanence une représentation du monde un peu simplifiée, use de perceptions erronées, se détermine sous influence, se fait des idées fausses sur ses capacités et surtout,  il va au plus vite… c’est en tout cas la thèse développée par le psychologue et économiste Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie en 2002, et le psychologue Amos Tversky dans leurs travaux sur les biais cognitifs et la dichotomie observée entre deux modes de pensée : le système 1 -instinctif et émotionnel- et le système 2 -réfléchi et logique-.  C’est d’ailleurs la prédominance du système 1 dans les processus décisionnels qui ressort de leurs travaux, mettant à mal la théorie dominante alors, d’acteurs économiques -vous et moi- se déterminant en toute circonstance de façon rationnelle pour des solutions optimisées et argumentées qui visent à maximiser leurs gains.

Face à des situations inédites ou complexes, le cerveau humain cherche à simplifier la prise de décision et use de “raccourcis” qui constituent autant de risques de biais et nous écartent de façon souvent inconsciente du schéma rationnel censé guider nos choix et nos décisions. Je ne passerai pas en revue l’ensemble des biais cognitifs qui interviennent pour régir nos prises de décisions -j’en ai recensé une bonne trentaine- mais certains sont d’une telle acuité pour la crise sanitaire et son traitement que la logique de ce post s’en trouverait biaisée si j’en faisais abstraction. Jugez-en !

Le biais de confirmation, le plus courant de mon point de vue, également dénommé biais de confirmation d'hypothèse, est le biais cognitif qui consiste consciemment ou inconsciemment pour nous à favoriser le cadre de référence qui confirme nos idées ou hypothèses et, a contrario, discrédite celui qui les contredisent ou joue en défaveur de nos conceptions. Le prisme que procurent désormais nos errances sur internet - ou le sérail auprès du décideur- n’est pas de nature à nous procurer une quelconque clairvoyance en la matière, bien au contraire !

Le biais de persévérance, qualité honorable à première vue, sauf quand il s’agit de persister dans une décision qui s’avère être une erreur. Les anglo-saxons appellent cela le “plan continuation error”. J’ai trouvé un effet très semblable pertinemment appelé escalade d’engagement, peut être à l’adresse des dirigeants, il faut bien nous distinguer de l’élite ! C’est aussi une façon de souligner un effet bien plus marqué au niveau collectif qu’individuel. Cela dit, on sait déjà depuis Sénèque que Errare humanum est, perseverare diabolicum!

L’effet de confiance ou le biais de Dunning et Kruger, du nom de ceux qui en ont rendu compte -un biais qui aurait pu s’appeler plus avantageusement le biais Trump- : une très grande majorité de personnes pensent que leurs compétences sont bien au-dessus de la moyenne.  Une surestimation des compétences acquises empêche d’aller s’informer, documenter et argumenter une décision. C’est effectivement parfaitement inutile quand on a le savoir infus. Aristote ne disait-il pas qu’on ne cherche pas ce que l'on sait déjà ! Ce biais est d’ailleurs assez proche du biais d’autocomplaisance -celui-là doit être quasi-universel- : il exprime la tendance que le décisionnaire aurait -c’est bien sûr au conditionnel !- de s'attribuer le mérite de ses réussites et d’attribuer ses échecs à des facteurs extérieurs défavorables. C’est, comme chacun sait, toujours une histoire d’adversité !

La gestion de la crise sanitaire révèle au grand jour nos propensions certaines à la croyance hasardeuse et la rationalité incertaine. On peut aussi avoir opportunément “l’humilité” de le reconnaître !

Un dernier petit mot sur le biais d’optimisme -ou d'optimisme comparatif-. Allez savoir pourquoi, le décisionnaire s’estime toujours moins bien exposé à un événement négatif que les autres personnes. Exemple pris au hasard : le risque de contamination. En période de déconfinement, il faudra au surplus compter avec l’effet Pelzman : il s’agit en substance du sentiment de sécurité que procure un artefact quel qu’il soit -un masque par exemple-, ce qui entraîne des décisions de compensation de risque et donc une plus grande prise de risque -moins de distanciation sociale par exemple !-

Bref, la preuve est faite, et c’est le Quatrième constat de crise, qu'en matière de prise de décision, nous sommes tous, le peuple comme l’élite,  de “fieffés farceurs…”, raison pour laquelle, comme l’a souligné Cioran avec son ‘éternel optimisme’, “…nous survivrons à nos catastrophes.”

 Hakam EL ASRI

 


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3/ Communauté de destin ?

U

ne question légitime : la crise sanitaire que nous vivons aujourd’hui permettra-t-elle l’apparition d’une nouvelle conscience du monde et plus particulièrement la conscience que l’humanité entière est embarquée dans une forme de destin commun ? Cette question n’est pas nouvelle. Elle surgit à chaque fois que l’humanité se trouve confrontée à une crise majeure.  L’ambition qu’elle porte avait été en grande partie confiée au système multilatéral international, dont les prémices ont vu le jour après la deuxième guerre mondiale pour faire en sorte que ce type de catastrophe ne se reproduise plus.  Le système multilatéral -inter-étatique malgré le “nous, les peuples” qui se trouve en préambule de sa charte - avait donc été conçu dans le cadre du projet optimiste d’une paix planétaire avec : 1/ une structuration qui reste fondée sur la contribution des seuls états souverains -quasiment pas de représentation des sociétés civiles- et 2/ des principes fondamentaux d’égalité -un état, une voix- et de non-ingérence.

L’instauration de ces principes initiaux a fait que les préoccupations du système multilatéral sont longtemps restées cantonnées à ce que les Anglo-Saxons appellent the high politics, autrement dit les affaires de souveraineté et de sécurité nationale, par opposition à the low politics qui intègrent les aspects économiques et sociaux ou tout autre problématique de nature domestique, y compris sanitaire.

Depuis, l’ossature du système multilatéral a évolué et s’est diversifiée dans la mesure où, au fil du temps, les interactions entre les états du monde devenaient de plus en plus complexes et la démarcation entre the high politics et the low politics devenait de plus en plus floue… il était devenu nécessaire de procéder à un réexamen du concept et de la pratique du multilatéralisme, sans pour autant remettre en cause certaines "particularités" du système multilatéral. Les règles écrites restaient favorables aux nations dominantes, elles sont, de fait, ratifiées par les autres états et érigées en textes internationaux : un ordre international basé sur le droit du plus fort mais un droit tout de même ! Les institutions multilatérales restaient dépendantes des grandes puissances à qui elles servent plutôt d'instruments au service de leur ambition politique en propre tout en jetant un voile d’entente internationale sur la marche du monde. Cela nous a valu des temps de guerre froide entre blocs antagonistes et des pays tiers, états faibles et périphériques, "courageusement" Non-alignés !

Mais cette période est bel et bien révolue (?)  Un nouvel ordre mondial allait se mettre en place avec l'effondrement du bloc Est. L’émergence d’espaces d’intégration régionaux, la montée en puissance de certain pays avec des velléités d’incarner le rôle de puissances régionales voire mondiales, la fronde des sociétés civiles et la résurgence des particularismes territoriaux ont instauré au fil du temps une nouvelle donne.  Une situation asymétrique s’est faite jour, les nations dominantes n’étaient plus en capacité de multilatéraliser leurs options. La nation dominante -incarnée désormais par les Etats-Unis- face au reste du monde, c’est parfois le reste du monde qui gagne ! Cela n’est pas pour plaire. La règle de “l’intérêt mutuel bien compris” qui a présidé aux rapports multilatéraux devenait d’un coup une entrave à la liberté d’agir. Le retour à la négociation bilatérale semblait une "nouvelle meilleure option" pour la nation dominante. Il est vrai qu’entre temps a émergé le concept de smart power qui de toute évidence n’était pas conciliable avec le multilatéralisme. Le smart power incarne le mix entre deux stratégies à première vue antinomiques et peu opérantes isolément : d’un côté le soft power -capacité d’attraction par la persuasion- et de l’autre le hard power -pouvoir de coercition par la force ou la menace de la force-. C’est Theodore Roosevelt qui, bien avant Obama, préconisait en substance “quand vous tenez un gros bâton, vous pouvez vous permettre de parler gentiment” ! Propos qui incarne parfaitement la notion du smart power et qui fonctionne à merveille dans un cadre bilatéral.  Mme Clinton parlait de la” bonne combinaison d’outils, adaptée à chaque situation”. La dynamique isolationniste de M. Trump va prolonger et approfondir la nouvelle doctrine américaine. Dès lors, America First commandait d’entreprendre avec constance et détermination la déstabilisation du multilatéralisme. Redéfinir les relations internationales consistait simplement à déconsidérer le travail des institutions multilatérales et gripper leurs rouages. Nul besoin de revenir sur la multitude d’illustrations possibles qui ont autant concerné l’ONU que ses programmes ou agences (OMC, UNESCO, FAO…),  le FMI, la Banque Mondiale, la dénonciation des accords commerciaux de libre-échange, jusqu’au retrait de l’accord de Paris sur le climat et la récente mise en cause de l’OMS dans sa gestion de la pandémie.

Ainsi, dans le Theatrum Orbis Terrarum : théâtre du monde  de notre création, et face aux défis du temps présent, les éléments normatifs qui devraient nous amener à travailler ensemble pour la paix, la démocratisation, le bien-être collectif, la protection de l’environnement (…) et élaborer des actions concertées avec un principe de solidarité internationale, sont aujourd'hui à la main d’un système multilatéral aux abois. Un système multilatéral décrié, déprécié, incapable d'adapter ses principes fondateurs et qui, dans le meilleur des cas, reste voué au maintien du statu quo médiocre.

Dans une période d'ambivalence et d'incertitude, une époque de complexité et de transitions rapides (VUCA world :  Volatility, Uncertainty, Complexity and Ambiguity), il semble difficile de croire que le dispositif de “gouvernance du monde” puisse se renouveler, s'adapter et adopter les nouvelles valeurs autour desquelles devraient se construire les relations internationales.

Unus homo, nullus homo : seul on n’est rien, c’est bien de la conscience de l’intérêt commun, voire du destin commun, que devrait venir le moteur de la coopération internationale. Edgar Morin ne dit pas autre chose quand il déplore que la mondialisation se soit faite dans une "interdépendance sans solidarité et qu’une communauté de destin ne peut se concevoir sans communauté de desseins".

Troisième constat de crise, nous sommes loin -un euphémisme ?- de cette quatrième humanitéqu’Edgar Morin appelait de ses vœux.

1Selon Edgar Morin, la première étant celle archaïque des chasseurs-cueilleurs ; la deuxième une humanité d’agriculteurs ; la troisième actuelle l’humanité planétaire.

Hakam EL ASRI


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2/ Gouvernants

L

e biais rétrospectif est sans doute le plus courant des biais cognitifs, c’est le fameux “je vous l’avais bien dit !” qui consiste à surestimer la probabilité d’intervention d’un événement après qu’il se soit déroulé. Dans l’après-coup, l'événement apparaît prévisible, évident même. Qu'en est-il?

Les signes annonciateurs ne manquaient pas : les précédents épisodes épidémiques -Ébola-, voire pandémiques -Sida, H1N1..- ; l’environnement écologique sous stress particulier qui favorise le rétrécissement de l’habitat animal et donc la proximité humaine ; le développement exponentiel de la mobilité mais aussi la spécialisation due à la mondialisation… Bref, l’ensemble des ingrédients étaient déjà là. On pouvait supposer que cela interviendrait bien un jour, restait à définir l’échéance !

En réalité, l’option pandémie mondiale était présente de tous temps. Certaines analyses prospectives américaines1 soulignaient même la difficulté qu’on aurait à la gérer au regard du manque d’infrastructures sanitaires et avertissaient quant à l’impact économique considérable susceptible d'intervenir par la mise en place des régulations visant à contenir la propagation de la pandémie… L’option était présente et les scénarios étaient plutôt bien écrits.

L’approche prospective ne cherche pas à identifier le futur mais plutôt à concevoir l’éventail des possibles. Plutôt que l’exercice d’oracle ou de prédiction, il s’agit d’une démarche spéculative, stratégique, particulièrement appropriée dans des temps incertains et instables. Pour chaque scénario concevable, l’exercice consiste à examiner les forces et faiblesses, à entrevoir les menaces, les opportunités et donner des réponses adéquates, le principe étant de se préparer et savoir quoi faire en cas d’intervention dudit scénario.

Devrait alors s’ensuivre la veille et l’appréciation permanente des scénarios les plus plausibles car leur probabilité d’intervention change au fil du temps et de l’évolution des choses.  Si l’incertitude et l'ambiguïté éloignent l’horizon de prévision, celle-ci reste possible à court et moyen terme. Il suffit juste de rester attentif au monde.

La crise sanitaire était-elle prévisible ? Fallait-il juste observer les signaux faibles -aussi massifs soient-ils- ? Ce sont là des questions en réalité secondaires, car les scénarios étaient bel et bien là et la menace décrite comme très plausible.

Pourquoi alors en sommes-nous là, avec le choc de la menace vitale ? Une prise de conscience violente et radicale de notre inconscience et de notre impréparation… Jusqu’à en être réduit à la solution moyenâgeuse de la quarantaine.

Quel a été le maillon faible ?

J’ai eu le spectacle désolant de ces dirigeants du nouveau monde, qui viennent nous dire en toute humilité qu’ils ne savaient pas, qu’ils ne pouvaient pas savoir. Je les ai vus faire étalage de leur incompétence, leur incapacité à anticiper, pris qu’ils étaient dans la fabrique politique du monde, en dehors du réel, à concocter le prochain coup. Pris qu’ils étaient dans l’omniprésence de la prochaine élection et la dictature du temps court. Pris qu’ils étaient dans leur projet ambitieux de nous construire un monde fonctionnel, instrumental, financiarisé, dénombrable…

Non seulement ils se sont trompés, mais ils ont failli.

Deuxième constat de crise : Nous voilà aujourd’hui définitivement livrés à l’impéritie des gouvernants.

Hakam EL ASRI

  

1 Global trends, Paradox of Progress, National Intelligence Council, 2017.

https://www.dni.gov/files/documents/nic/GT-Full-Report.pdf

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1/ Toile

I

l serait sans doute prématuré et présomptueux de vouloir tirer une quelconque leçon de la situation de crise actuelle -encore moins d’en donner !-. Il me semble néanmoins opportun d’acter quelques constats alors même que nous sommes dans l’œil du cyclone. Un effort d’observation, un jalon de mémoire et une vision nécessairement personnelle. Peut-être aussi une envie d’être présent au présent.  En tout cas, une volonté de se soustraire un bref instant au système établi sans pour autant prétendre saisir l’ensemble. En définitive, une façon de sortir à la fois du huis-clos oppressant et du tintamarre des réseaux sociaux qui semblent incarner le seul lien qui subsiste.

Qu’il me soit pardonné cette outrecuidance.

Hakam EL ASRI

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Une crise salutaire ?

D

es semaines déjà que le mot crise sanitaire revient en leitmotiv, insistant, comme pour nous convaincre de la violence du choc ou subjuguer l’opinion. D’autres termes comme catastrophe, calamité voir apocalypse interviennent parfois et paraissent tout aussi adéquats. A bien y regarder, crise et catastrophe bien qu’assez proches n’en sont pas moins différenciés, aucunement interchangeables. Leurs étymologies différentes, peuvent nous en convaincre. Les signifiés flottants qu’on leur attribue à tout va ne sont que le "dernier petit avatar" de la culture de dévitalisation des sens et des idées désincarnées caractéristiques de notre époque. Qui parlait de crise existentielle des mots ?

Le mot catastrophe vient du grec katastrophê et signifie bouleversement, fin, dénouement ; il vient d’ailleurs de la tragédie, on remarquera que le mot est formé sur strophê -cela vous rappelle-t-il strophe ?- qui signifie, évolution, action de tourner… Le dénouement, souvent sanglant, des tragédies classiques infléchit naturellement le sens du terme vers la fin funeste et le désastre.

Quant à crise, selon le Robert historique, le terme est emprunté au latin impérial crisis au sens de "phase décisive d'une maladie". Le mot latin est emprunté lui-même au grec krisis décision, jugement… Le mot crise est donc dès l'origine un terme médical. Le sens s'élargit progressivement et se spécialise dans une acception individuelle à résonance psychologique -crise de l'adolescence, crise de la quarantaine…- et une acception collective, sociale, économique et… sanitaire.

L’analyse étymologique de ces mots suggère un certain nombre de réflexions.

Parler aujourd’hui de crise sanitaire est un juste retour des choses -on en revient à la dimension clinique -observation des malades- ; c’est de ce point de vue, presque un pléonasme. Or la crise en médecine est la manifestation aiguë d'une maladie. Pour qu’il y ait crise il faut qu’il ait maladie !

La catastrophe n'est pas, contrairement à ce qu’on pourrait penser, un événement impondérable, imprévisible, c’est l’aboutissement d’un récit, d’une intrigue, d’une élaboration orientée à strophes cadencées vers le désastre !

L'élément déterminant dans une crise est peut-être la rupture. Cette impossibilité de prévoir, de se projeter dans le temps. Le prolongement du passé -en réalité l’activité privilégiée des futurologues et autres prospectivistes- n’est plus de mise. Toutefois, la crise a le mérite de se résoudre dans une forme d’alternative, la mort n’est pas toujours certaine. On peut s’en remettre. Elle pourrait même s'avérer bénéfique, procurer une prise de conscience et faire intervenir le changement…

On aura compris pourquoi le Covid19 n’est définitivement pas une catastrophe ! L’essentiel d’une communication de crise est de maintenir l’espoir… La crise positive est devenue d’ailleurs une argutie de tous les jours. On parle de crise de rupture, créatrice, disruptive… La crise, sous ce couvert, n’est qu’un accélérateur du changement. Ce qui importe dans la crise ce n’est pas la violence du choc, les dégâts occasionnés, l’urgence du moment, c’est forcément la sortie !

Si je tentais de modéliser le processus universel d’une situation de crise, celui-ci comporterait alors trois éléments déterminants : l’émergence d’un élément de déstabilisation, des troubles à l’ordre social, économique… sanitaire et pour finir une restructuration qui ferait émerger une réalité différente. Un nouvel ordre est (r)établit. Le "r" est équivoque !

Simplement, avec la crise, il y a intrusion d’une temporalité particulière.

L'urgence d’une situation de crise définit un rapport particulier entre les parties prenantes, impliquant le devoir d’agir, à la fois dans une disponibilité et une réponse immédiate pour faire face à des demandes pressantes mais aussi, paradoxalement, la perte du pouvoir d’agir justement par crainte du mal agir, d'interférer ou d'aggraver les choses. La redondance, le temps de la réflexion, le débat, l’expression discordante... caractéristiques fondamentales de toute démocratie, s’en trouvent délégitimées et suspendues de fait, nul besoin de décréter l'état d’urgence ! La question du devenir, de la sortie de crise est de la même façon renvoyée à des temps meilleurs. Il y a le temps de l’action et le temps du bilan, on en tirera bien les leçons...   Il s’agira alors pour certains de militer pour la sauvegarde d’une vision conservatrice et pour d’autres de concevoir le projet à venir, avec l'interrogation sur un futur d’autant plus incertain qu’il n’est plus prolongement du passé récent. Il y a à faire œuvre d’inventivité, il y a à considérer que l'événement de crise doit faire avènement. Un saut dans l’inconnu en somme.

Le monde se construit et se déconstruit continuellement. On en était encore à parler des transitions numériques, écologiques… On est par ailleurs dans un contexte de mondialisation, faut-il en souligner l’interdépendance et l’interconnexion. Les crises ne sont jamais des phénomènes isolés à périmètres circonscrits : les entraînements, les réactions en chaîne, les effets dominos sont légion et amplifient les impacts tant en intensité, en étendue qu’en durée. Nous sommes sans doute entrés dans une ère non seulement de crises systémiques -c’est déjà acquis- mais aussi de crises chroniques, car très souvent nous ne savons pas en sortir... sans compter avec le fait que, comme pour un tremblement de terre, il y a toujours des répliques dont nous ne savons pas apprécier l’amplitude.

Si la crise est un moment de rupture, difficile parfois car elle sonne le glas d’une cohérence patiemment construite…-par certains-, elle est censée être aussi un moment de réélaboration d'une nouvelle vision du monde, de la notion du commun, du système d’organisation, du discours ambiant et de l’idéologie dominante… Pour être, l’homme doit être en devenir. Si l’homme aujourd’hui ne trouve pas le moyen de se réinventer… cela aura été une crise un peu vaine, une autre crise pour rien. En réalité même pas une crise. Ça n’aura été qu’une ruineuse catastrophe : le dénouement dévastateur d’une tragédie humaine. Encore une.

Hakam EL ASRI


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Le collectif aujourd’hui

C’est à Ferdinand Tönnies que nous devons la distinction entre “communauté” et “société”. Celui-ci opposait deux types de rapports sociaux qu’il désignait respectivement comme communauté -Gemeinschaft- et société -Gesellschaft-. Pour la première, il parlait de proximité culturelle et spatiale. La seconde, quant à elle, restait pour lui le théâtre de l’individualisme avec pour essence l’intérêt personnel plutôt que l’intérêt général.

Une dichotomie par trop tranchée dont il convient aujourd’hui de réinterroger le fondement à l’ère de l'homo digitalis en particulier, en considération de la place toujours grandissante que prennent les réseaux sociaux.

Si les communautés ont pour soubassement la particularité de ce qui est commun -ou supposé tel- certaines se sont désormais affranchies de la proximité spatiale et se sont grandement émancipées de l’acquaintance culturelle vers des communautés intentionnelles qui se donnent des objectifs, des doctrines et des règles en propre. L’action est néanmoins préformatée par la structure du réseau et n'a parfois pour objet que le réseau lui-même.

C’est la multitude qui fait la force ou la puissance de ce type de communautés. Celle-ci se construit par association de maillons qui se caractérisent par des interdépendances nouvelles qui les amènent à dialoguer et à interagir.  L’interpersonal trust  (confiance interindividuelle) est, dans ce cadre, d’une importance capitale pour tisser le lien et renforcer la cohésion de la communauté. Une dynamique qui préside à la création de communautés d’un nouveau genre à l’instar de Anonymous ou, sur un tout autre registre, Daech.

On pourrait supposer qu’à terme, la reconfiguration des concepts connexes à la communauté des citoyens comme état ou nation soit à prévoir... La substantivité de la communauté intentionnelle est cependant à nuancer, l'émergence du réseau social ayant eu une incidence forte sur le mode d’organisation du collectif. On a beaucoup parlé des effets se rapportant à la décentralisation et l’aplanissement des modes d’organisations. Il convient de mentionner d’autres éléments tout aussi importants:  le mode organisationnel en réseau est nécessairement évolutif et est souvent hors contexte, fait d’assemblages temporaires, de changements de configurations, de buzz… Il n’y a donc pas d’organisation structurante ni de garantie de pérennité.

Les réseaux sociaux créent en réalité leur propre espace de sociabilité qui ne semble pas entamer -à ce jour- la sociabilité classique avec des liens forts. De fait, le réseau social entraîne une extension et un élargissement du champ mais reste cantonné à ce qui est communément appelé les liens faibles et crée une sorte d’espace transitionnel entre l’espace privé et l’espace public. De la sorte, l’internet relationnel participe de l’affaiblissement de la frontière entre ces deux espaces. S’il est vrai que la question du lien, qu’il soit virtuel ou réel, repositionne notablement la question du collectif, les évolutions restent ambiguës, les manifestations et les expressions encore trop disparates. Cela ne devrait d’ailleurs pas trop nous étonner, il n’y a qu'à considérer la gradation entre le lien faible et le lien fort .  Faut-il rappeler que le lien -au sens classique- recouvre une multitude de significations qui vont de ce qui relie et crée l’alliance jusqu’à l’attache qui entrave et enchaîne.

Hakam EL ASRI

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Mon vœu pour nous

Une petite réflexion sur les temps qui courent suivie d'une méditation poétique. Il vous appartiendra d'aller jusqu'au bout.

Heuristique : terme d’origine grecque (εὑρίσκω/ eurisko : je trouve). Se rapporte à l'art d'inventer et de faire des découvertes. Il prend des significations particulières en fonction des champs et disciplines auxquels il se rattache, que ce soit en sociologie, psychologie ou même en recherche scientifique. A ne pas confondre avec “heuristique de disponibilité”, concept élaboré par Tversky et Kahneman qui ont mis en évidence dès 1973 l’existence d’une distorsion courante qui intervient dans le jugement des individus : ceux-ci privilégiant dans leurs processus de raisonnements les informations immédiatement disponibles. L’heuristique de disponibilité est donc un biais cognitif qui donne une importance prépondérante à ce qui vient en premier et plus particulièrement ce qui ressort du stéréotype. 

Les faits sont jugés d’autant plus probables qu’ils viennent plus aisément à l'esprit. La crédibilité de l’information, l’importance de l'événement, la force de l’argument sont toutes relatives et ne sont appréciées qu’à l’aune de notre disposition à la facilité! Cela est encore plus vrai pour les événements qui viennent conforter nos représentations et croyances ou qui ont une forte charge émotionnelle propice au souvenir.

Qui plus est, la propension des réseaux sociaux à nous maintenir dans notre bulle familière et à nous proposer ce qui semble en adéquation avec notre profil, censé représenter ce qui nous importe, ce qui nous caractérise ou pire, ce qui nous détermine ; la “traçabilité” de nos errances et pérégrinations, viennent corroborer notre vision du monde, nous cantonner à l’immobilisme et à la pétrification de nos schémas mentaux.

 

Le biais d’heuristique de disponibilité n’est pas tout. Il y a aussi ce que j’appellerai “l’enflure du présent” qui fait tout autant barrage à la réelle perception du monde. Nous sommes littéralement assaillis de toute part d’une information pléthorique, redondante, protéique et encombrante. La quantité d’information reçue décuple tous les deux ans.  Cela nous donne du temps qui court une perspective particulière : l’omniprésence du présent a pour incidence l’éloignement du passé proche. 

 

Non seulement on se détourne mais on oublie. Un renoncement et une amnésie qui font de nous des êtres du plus en plus amputés des richesses passées et des perspectives futures, des êtres éminemment actuels dans l’ensemble des acceptions du terme, autant par l’action, l’actualité et l'inscription dans le temps présent.

 

Si je mets ces phénomènes en avant, c’est dans une tentative que j’espère éclairante d’inciter mes concitoyens à se sortir de ce qui les confine dans la morosité ambiante et l’atmosphère quelque peu délétère qui a régnée durant l'année 2016, en tous points, une année pénible. 

Attentats terroristes, crises migratoires, radicalismes, isolationnismes, déprime économique et médiocrité rampante… toute chose, qui, à juste titre peut induire chez un-chacun des états d’âmes chagrin, nous inscrire dans le tourment du désespoir et l’anxiété d’un avenir incertain. L’optimisme est la première victime de nos humeurs funestes. On y est d’autant plus enclin que tous, nous faisons le jeu du fameux biais cognitif de l'heuristique de disponibilité et de l’enflure du présent… Non, 2016 n’est pas le point de départ d’un monde à la dérive. Il nous appartient de relativiser nos craintes et de choisir au-delà de l’émotion, ce qui pourrait être déterminant pour notre avenir…

L’homme authentique est son histoire et son projet.  C’est un être de culture, un être de spiritualité. Il a pour vertu l’espérance et l’ambition. L’homme a besoin de repousser les horizons et d’élargir l’éventail des possibles pour pouvoir s’inventer et inventer son monde en toute liberté.

 

Mon vœu pour nous

 

Qu’il nous soit donné de lever les voiles de l’ombre

de voir au-delà des broussailles

et d’aller vers la lumière

Qu’il nous soit donné de rompre avec nos désirs dérisoires

nos insolentes ignorances

nos vaines habitudes

et nos infinies prétentions

 Qu’il nous soit donné le discernement pour comprendre

le courage pour changer

la fantaisie pour rêver

le génie pour créer

et l’envie pour entreprendre

Qu’il nous soit donné la sobriété pour vivre

la constance pour tenir

et la sagesse pour accepter

Qu’il nous soit donné dans notre chemin de liberté

de s’ouvrir aux autres

et de sourire au monde

pour sourire à nous-même

 Hakam EL ASRI

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#UX

Sens singulier 1. Une expression de complexité ? Hakam EL ASRI
Sens singulier 1. Une expression de complexité ? Hakam EL ASRI

Chacun de nous a sans doute fait le constat -ou l’expérience- qu’il devient de plus en plus difficile d’interagir harmonieusement avec un système environnant, que nous avons pourtant largement contribué à concevoir. C’est là le résultat naturel de notre tropisme à la complexité. Nous pourrions indéfiniment -et à juste titre- nous interroger avec Edgar Morin sur le pourquoi de ce mal-ajustement. Désormais, le nombre toujours grandissant des entités en action, et donc en interaction dans l’environnement humain, nous empêche d’en prévoir l’évolution ou la rétroaction. Notre monde complexe devient tout aussi incertain et jusqu’à un certain point incontrôlable... –vous comprendrez pourquoi on parle de plus en plus de surprises !-

La sensation de dépassement, de perte de maîtrise ou de défaut de compréhension, fait renoncer certains -à vrai dire de plus en plus nombreux- à cette intelligibilité nécessaire et ils s’en trouvent par la même marginalisés. Ce ne sont pas leurs capacités qui sont en cause, ce ne sont pas leurs représentations qui sont devenues caduques ; leur renonciation vient de systèmes complexes auxquels nous sommes confrontés et auxquels nous sommes manifestement peu préparés. La renonciation peut tout aussi provenir d’une sollicitation sans commune mesure avec le bénéfice escompté (un temps et une énergie que nous sommes peu disposés à consentir).

Différentes théories mathématiques ou fonctions algorithmique tentent d’analyser la nature et le degré de complexité.  Selon la théorie de Kolmogorov -une parmi d’autres-  “est complexe ce qui ne peut se décrire brièvement”. Ce postulat, qui s’apparente à première vue à un simple truisme, se rapporte à un type de complexité propre à notre temps et concerne la quantité d’informations qu’un objet contient, peu importe le formalisme choisi. Notre monde -et l’ensemble de ses constituants- ne peut être décrit de façon brève, son évolution ne peut être prédite avec des règles simples et linéaires. Nous sommes de plus en plus dans un monde “non connaissable”. Même le discours scientifique censé nous en permettre l’élucidation et nous en faciliter l’intelligibilité devient ambivalent et hermétique. D’un point de vue cognitif, c’est l’incertitude qui émerge et l’homme en est grandement responsable. Nous avons établi le cadre d’une marche effrénée vers toujours plus de sophistication. Le fondement en est simple, et d’un certain point de vue archaïque. L’idée de progrès : une quête de l’Eden dans un monde terrestre à parfaire...

Comment alors se sortir de cette dynamique « de rétroaction positive » d’un système qui se renforce continûment et dont certains -les tenants de l’entropie sociale- nous prédisent une évolution constante et irréversible vers le chaos.

Déjà à partir des années 1920, le mouvement artistique Bauhaus avait tenté un mouvement de synthèse des arts plastiques, de l’artisanat et de l’industrie avec l’idée essentielle de la simplicité et un principe fondamental de la forme-suit-la-fonction. La volonté du Bauhaus était de produire des objets universels, qui transcendent les frontières, les cultures et les classes sociales. La nouvelle unité de l’art et la technique devait se traduire dans un élan de sobriété et une simplicité fonctionnelle permettant de nouvelles conditions de travail et de vie.

Le mouvement jugé par trop moderniste -et dans la foulée collectiviste- fut mis à mal par le régime nazi à partir de 1936. Colin Bisset, qui a écrit à ce propos, pointe d’ailleurs non sans dérision "La menace de la simplicité" face au régime autoritaire !

Aujourd’hui, quasiment un siècle plus tard, la propension de l’homme au complexe et par ricochet la quête de la simplicité sont toujours à l’ordre du jour.

Je note avec une certaine satisfaction que l’essor de la facilitation semble en marche. J’en prends pour preuve la démarche FALC (Facile à Lire et à Comprendre). Une méthode qui cherche à produire des documents accessibles dans le but de faciliter la lecture de personnes dyslexiques, malvoyantes, illettrées ou maîtrisant mal la langue écrite. La portée du FALC dépasse la question du handicap ou de la déficience. Il s’agit de produire un langage moins sophistiqué, moins conceptuel qui permette l'accès à la compréhension du plus grand nombre…

Le FALC est d’ailleurs un élément quelque peu paradoxal de ce mouvement vers la simplicité. Il est à la fois l’illustration de l’excès dans la marche vers la complexité mais aussi la réponse dans une autre forme d’excès vers la simplicité avec les écueils de l’appauvrissement, les risques de la simplification et la réduction…

Sur un tout autre registre, j’ai eu l’occasion d’intervenir il y a peu sur le concept d’utilisabilité, une autre démarche de facilitation très en cours dans les milieux web et plus globalement ceux qui élaborent des interfaces homme-système avec pour objectif de faciliter ce type d’interaction et d’augmenter la satisfaction de l’utilisateur.

Définie du point de vu de l’utilisateur, l'utilisabilité détermine le potentiel d'un produit à atteindre les buts -y compris qualitatifs- de l'utilisateur. Le concept est plus particulièrement mobilisé dans le domaine des technologies de l'information, il me semble tout aussi porteur dans l’ensemble des domaines qui relient un système, quel qu’il soit, et le cognitif humain.

L’utilisabilité va plus loin que la seule facilité d’usage. Nielsen (1994) situe la notion au sein d’un concept plus large d’acceptabilité autant pratique que sociale. L’utilisabilité englobe un certain nombre de caractéristiques telles que l’efficience avec la double dimension de l’utilité et de l’efficacité et donc l’atteinte des objectifs avec des moyens optimisés ; la satisfaction -de l’expérience utilisateur-, la fiabilité –et la réduction du nombre d’erreurs et de défaillances- ainsi que la facilité d’apprentissage -learnability-  et la facilité d’appropriation -memorability proficiency-. Toute choses en rupture avec la tendance fâcheuse du " pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué" et qui participent d’une accessibilité plus grande.

La transposition de la dynamique d’utilisabilité dans le champ plus large des cadres systémiques -en réalité l’intégralité de nos cadres d’intervention- peut se révéler assez féconde en particulier si on la complète, de mon point de vue, de deux dimensions supplémentaires.

La première se rapporte à l’intégration optimisée d’un produit, d’une application -ou toute autre fonction exécutable- dans un environnement dédié. Il y a donc lieu de considérer avantageusement le niveau d’adéquation -définie comme la qualité de ce qui est exactement approprié- à l’environnement. De cette adéquabilité naîtra un rapport "de convenance et de correspondance" comme disent les philosophes. Une harmonie avec le système qui le fait évoluer vers les objectifs souhaités sans pour autant inscrire les ruptures -à moins qu’elles soient recherchées !- La notion d’utilisabilité s’en trouvera plus à même de tenir compte de façon encore plus explicite des dynamiques des écosystèmes en jeux.

La seconde dimension me semble tout aussi indispensable dans un monde qui a entamé sa transition écologique. Le constat est fait, notre environnement, notre temps… sont chaque jour plus encombrés, saturés, notre attention chaque jour plus sollicitée. En matière d’utilisabilité, il me semble encore plus pertinent de s’interroger non sur l’utilité des choses qui nous environnent mais plus loin sur leur nécessité. La transition écologique nous impose désormais de s’inscrire dans une économie de sobriété. N’entreprendre, ne réaliser que le strict nécessaire serait une grande avancée vers la frugalité et sans doute vers la simplicité.

Encore faut-il connaître l’état de nos besoins… et donc de nos désirs, ceux-là même que conditionnent nos frustrations…

La tâche n’est pas de tout repos, elle est même un tantinet complexe !

Hakam EL ASRI

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Une ère nouvelle?

Oxford Dictionaries vient de de choisir son habituel Terme de l’année : "word of the year".

Il s’agit de distinguer le terme ou l’expression ayant suscité le plus d'intérêt au cours des 12 derniers mois. Ce choix est sensé refléter l’univers social, l’esprit et les préoccupations de la période de référence et s’inscrit potentiellement dans une mobilisation durable.

Le mot choisi est "post-truth". Une traduction littérale donnerait le terme "post-vérité".

Cette expression est définie par l’ Oxford English Dictionary comme  "un adjectif relatif ou dénotant des circonstances dans lesquelles les faits objectifs sont moins importants et moins influents dans la formation de l'opinion publique que les appels à l'émotion et la croyance personnelle".

C’est en 1992 que le néologisme a été utilisé pour la première fois par Playwright Steve Tesich dans The Nation magazine. Tesich écrivait à propos de la guerre du Golfe : “Nous, en tant que peuple libre, avons librement décidé que nous voulions vivre dans un certain monde de post-vérité"(*).

Il est à noter que pour la première fois, les équipes d’Oxford Dictionaries des deux côtés de l’Atlantique ont procédé au même choix.  Le Brexit et l’élection de Trump ne sont bien sûr pas étrangers à cet état de fait.

"Je ne serais pas surpris si le mot post-vérité devient un des termes qui pourrait caractériser le mieux notre époque" a déclaré Casper Grathwohl, Président d’Oxford Dictionaries.

On remarquera l’usage, somme toute nouveau, du préfixe post: préposition d'origine latine signifiant habituellement "après", une postérité immédiate dans le sens du lieu ou plus communément celui du temps. L’usage  proposé s’inscrit désormais dans le dépassement, la distanciation, la relativisation. Autrement dit, d’une position centrale ou absolue,  l’élément devient marginalisé, d’importance mineure voire inutile ou superfétatoire. Selon The Independant, des emplois similaires ont déjà été constatés dans la formation des mots post-national ou post-racial.

Dans post-vérité, la vérité n’est presque plus. Elle devient peu pertinente dans la formation de la doxa -ou opinion publique- : cet ensemble de représentations socialement prédominantes - récits, faits, opinions, présuppositions, préjugés…- répandu et collectivement admis, approuvé et sur lequel se fondent nos interactions sociales.

S’il est vrai que l’espace public n’a jamais été exclusivement celui de la vérité vraie, il n’en reste pas moins qu’une recherche de vérité y restait prescrite, valorisée et jusqu’à un certain point recherchée... comme une réminiscence de la pensée platonicienne qui conçoit le rapport dialectique de la doxa, dans une triade supérieure fondée sur l’esthétique, l’éthique et la logique,  en d’autres termes : le beau, le juste et le vrai.

Désormais, et c’est particulièrement notable dans le discours politique, l’espace du réel, du factuel et du vrai se disperse dans des vérités particulières, contingentes, inventées pour l’occasion -les faits sujets-.  Ce n’est plus le vrai qui détermine, mais l’idée que l’on se fait du vrai ou qui a l’apparence du vrai, autrement dit du vraisemblable.

La post-vérité n’est pas la forme dégradée de la vérité.  Il existe désormais un espace où la vérité et la contre vérité ne sont plus tellement différentiables :  la fréquence, la forme, la force de l’affirmation et l’émoi qu’elle suscite font la différence.

Une campagne politique, qu’il s’agisse d’une présidentielle ou d’un referendum -la preuve en a été donnée- se gagne par l’exaltation de l’émotion et non point par l’évocation de l’argument. La vérité ne pèse plus -ne compte plus- face au propos populiste, à l’exagération, à l’omission, à la contre-vérité…

Le drame avec les faits, ou avec les vérités, c’est qu’ils forment un monde complexe aux limites établies, alors que demeure l’attente lancinante de l’extension du domaine des possibles.

Comment opposer la difficulté consubstantielle au  réel à des conceptions manichéennes et simplistes du monde?

Comment admettre l’absence de solutions miracles, réfuter les croisades moralisantes, les quêtes de boucs émissaires et les complaisances désespérées?

Comment lutter contre le déni et la méconnaissance, que ce soit pour se prémunir -de la violence des faits- ou simplement pour avancer, œillères déployées, avec la réfutation de ce qui est susceptible de déplaire?

Comment se préserver des pensées autoritaires, des majorités médiocres ou des communautés dogmatiques?

Pseudo-vérités inventées, largement diffusées, vérités ignorées, éparpillées…  L’inconsistance essentielle aux habits de pragmatisme que connait notre époque engendre des sociétés confuses, angoissées et rétrécies.

L’inéluctable retour au réel viendra de la dé-marginalisation de l’homme, dans sa singularité et son expérience vécue : l’homme acteur de sa propre histoire, sujet créateur de son devenir. L’inéluctable retour au réel viendra non de l’aliénation, mais du tissage des liens qui redonnent à l’homme son intégrité, sa subjectivité et sa propre cohérence dans le tissu arlequin des événements.

La fin de la post-vérité viendra peut-être d’une société dirigée par un chacun, de son intimité intérieure, enfin retrouvée.

 

Hakam EL ASRI


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Le mutin du sérail

Étrange destinée que celle du pouvoir ! Celui-ci ne peut ni incarner le consensus et embrasser toutes les aspirations, ni s’accorder avec la contestation permanente : la gouvernance, le vivre ensemble en souffriraient.

Le pouvoir a cependant grandement besoin de la contestation. C’est le juste équilibre entre l’expression du pouvoir et l’expression de la contestation qui fait la vigueur des démocraties et procure la stabilité. Sans cela il y aurait déliquescence : autoritarisme d’un côté ou désordre de l’autre… En ce sens, la voie du vivre ensemble est nécessairement faite de résignation et de renoncement mais aussi de résistance et de contestation. Des positions aussi antinomiques coexistent rarement en même temps. Certains font le choix de l'abandon à l'autorité et la célébration du pouvoir, d’autres veulent bousculer les forces dominantes et choisissent d’exalter la contestation.

Le pouvoir est à la fois nécessaire et inusable. Évincer un pouvoir revient à en établir à plus ou moins long terme un autre. La contestation est une façon de le mettre à distance et d’apaiser ses travers et ses excès.

Quand l’hégémonie, l’arrogance, l’incurie et la vacuité s’incarnent en tant que pouvoir, quand la soumission au désir du prince est érigée en règle, la contestation devient un devoir. On se doit de forcer sa nature, se résoudre à traquer les violations et les infidélités. Déstabiliser pour mettre en marche l'esprit critique.  Distinguer le désaccord comme voie de salubrité… 

Un adage juif, dont je ne me rappelle plus les termes exacts, dit en substance que face à un sérail en accord je me dois d’être en désaccord. Le progrès est à ce prix.

 

Hakam EL ASRI

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Le dilemme de l’âne

Dans la prise de décision subsiste toujours un mixte d’indécidabilité et d’incertitude. Une décision, quelle qu’elle soit, crée un nouvel avenir, change nécessairement la donne et nous projette paradoxalement dans un espace indécis.

Depuis Aristote jusqu’aux théories des jeux et les mathématiques de la Décision, on s’est posé la question du bon choix, du raisonnement argumenté vers la décision optimale qui permettra de nous éviter de s’en remettre au hasard.

D’une spéculation philosophique, la prise de décision -je le note au passage- est devenue une question mathématique. C’est désormais une question de maximisation de gains, là où l’expression du libre arbitre,  face aux contingences et aux nécessités éthiques et morales, était encore une préoccupation première des philosophes.

La décision est une manière de diriger notre action. On la conçoit souvent comme l’aboutissement logique d’une délibération. Sauf peut-être Sartre qui pensait la délibération et le débat intérieur comme une sorte de rationalisation d’une décision -déjà- prise et l'expression de notre mauvaise foi pour éviter de confesser nos secrets désirs.

Sans aller jusque-là, il me semble qu’il y a lieu de distinguer la nature des décisions à prendre : expression du préférable ou du désirable ? La nuance est de taille. Choix de rationalité ou affirmation d’une volonté propre, voire même, l’expression d’un pouvoir : si j’ai l’arbitrage, je peux  l’arbitraire!

Pour y voir plus clair, il y a lieu d’interroger le ressort de la décision et d’en caractériser la matérialité en fonction de trois dimensions clés, le sujet, l’objet et le projet. Cette catégorisation se montre très opérante sur des thématiques qui sont à la conjonction du subjectif et de l’objectif, autrement dit la représentation et le réel. Je n’ai pas l’impression qu’elle ait été utilisée dans le cadre de la prise de décision.

En réalité, ces trois dimensions sont inséparables. On ne peut définir séparément ce qui constitue une réalité articulée dans un triptyque dialectique -au sens hégélien- pour une prise de décision qui fait sens. L’exercice est donc quelque peu artificiel mais il me semble porteur.

Le sujet : la décision est l’expression d’une volonté. Le sujet est à considérer comme celui dont dépend la prise de décision -qui peut être un individu ou un groupe d’individus-. Il peut être engagé dans l’action mais il n’est pas nécessairement celui impacté par la décision. Le décideur est déterminé par une expérience subjective. La décision intervient comme un acte de volonté, la concrétisation d’un dessein délibéré, d’une intention ; l'intention comme affirmation d’un  désir, d’une aspiration ou d’un besoin…

Le sujet marque l’expression d'intériorité. Il a, en propre, une représentation du monde, une culture, des valeurs. Des éléments latents mais déterminants pour nos attitudes, nos jugements, nos choix et in fine de notre action.

Les valeurs sont perçues comme le ferment et le fondement de l’être.   Elles sont l’expression de "ce qui vaut" et, à ce titre, elles établissent une hiérarchie de légitimation. Nos valeurs sont généralement stables. Ce sont des constantes qui influent -voir déterminent- de la même façon des choix récurrents. Confrontée à des choix divers dans des cadres et des contraintes de toutes natures, notre subjectivité du moment est toute aussi faite de la constance de nos valeurs. Tout n’est donc pas que contingences.

L’objet : ce sur quoi porte la décision et le contexte matériel de son intervention.

C’est le cadre environnant, c’est le tout hors le sujet. C’est ce qui marque la dimension d’extériorité et de différenciation. C’est aussi l’ensemble des interactions et relations contextuelles.

Même s’agissant d’une réalité extérieure, l’objet reste relatif au sujet dans la mesure où il est ce qui "est appréhendé" par le sujet. C’est donc une construction plus ou moins élaborée. Cela est important pour la prise de décision. L’objet étant une représentation plus ou moins réaliste que se donne le sujet. L’objet est variable dans le temps. Il découle aussi des circonstances et les éléments de conjoncture.

La délibération pour la prise de décision consiste entre autre à  caractériser et à clarifier l’étendue de l’objet. Recenser les composantes et les dimensions d’altérité : les acteurs et les facteurs. Procéder à l’analyse du système dans son étendu et ses articulations d’échelles.

Le projet, quant à lui, est un aboutissement -le produit- densifié des premières dimensions. C’est une tentative d’ordonnancement de l’objet selon la logique du sujet.  C’est un jaillissement qui pourra voir sa traduction dans l’agir. Les prises de décision successives sont une manière de formaliser le projet, de l’inscrire dans une réalité observable et concrète.

On le voit, ces trois dimensions sont intimement liées et interviennent confusément  pour faire nos choix et nos décisions. Face à des situations inextricables, la délibération est parfois ardue. Devoir faire ce chemin à rebours et ce débat interne entre les trois dimensions est un peu périlleux.

Entre les désirs du sujet, les contraintes de l’objet et les détours du projet, la bonne décision souvent n’existe pas.  Faut-il toujours choisir d’ailleurs. Ne pas choisir est tout aussi choisir. Miser sur la continuité,  la sécurité du connu ou décider de sauter le pas. Choisir la rupture et se hasarder à explorer l’inexploré. Un certain risque préside toujours aux choix réalisés. Une partie de la question se résume alors au risque qu’on est prêt à consentir.

Les décisions changent l’avenir. Il y a toujours deux termes à nos décisions. Une échéance immédiate, qui traduit les effets de nos décisions dans l’objet et les projets du moment, et celle lointaine qui nous inclut dans un mouvement particulier, une bifurcation propre dans l’éventail de possibilités qui s’ouvre à nous : le parcours de vie. En définitive, l’œuvre humaine ne serait que la somme de nos décisions. Chacune s’insérant dans le prolongement de la précédente, des processus ou contingents ou contraints d’où il ressort des décisions progressivement interdépendantes et nécessairement acculées.

Selon cette logique, n’y aurait-il libre arbitre et liberté de choix que dans nos choix premiers ?

Nos tout premiers choix pourraient nous engager pour la vie. Y sommes-nous bien préparés ? ‘Si jeunesse savait’, disait Oscar Wilde.

Tout bien considéré, une position rémanente est sous-jacente à tous nos choix, du plus anodin au plus grave : la dimension cornélienne est belle et bien présente. Opposition irréductible entre le choix du raisonnable, du préférable, du sens du devoir ou le choix du sentiment, du désirable et de l’allégresse du cœur…

 

Perpétuel choix cornélien ?  Tension extrême du dilemme poussé à l'absurde mais qu’il faut faire, encore et toujours pour éviter de finir comme l’âne de Buridan dont la légende dit  qu’il est mort de faim et de soif entre son picotin d'avoine et son seau d'eau, faute de pouvoir choisir par quoi commencer !

Hakam EL ASRI

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La transition énergétique, une décision politique !

La transition énergétique est une composante essentielle de la transition écologique. Le passage du système énergétique actuel vers un modèle durable et économiquement viable est semble-t-il en marche. Cette transition suppose une évolution de nos modes de conception, de production et de consommation de l'énergie. Notre modèle économique devrait évoluer dans un premier temps vers une situation de transition qui repose sur un mix et une meilleure efficacité énergétiques et, à terme, sur un bouquet basé exclusivement sur des ressources énergétiques renouvelables et soutenables pour la planète.

 

Cette transition énergétique est une évolution inéluctable pour prendre en compte des enjeux environnementaux à la fois systémiques et complexes. Cela interroge notre responsabilité intergénérationnelle et tient à la fois à l’exploitation de ressources non renouvelables, l’appauvrissement de la biodiversité, les changements climatiques et la multiplication des risques sanitaires environnementaux. Cette transition était d’autant plus engagée qu’elle se trouvait confortée par deux facteurs non négligeables : l'enchérissement régulier des énergies fossiles -en 2008, Goldman Sachs prévoyait un baril à 200 dollars- et des inégalités criantes dans les sources d’approvisionnement. Ces deux éléments se conjuguaient et poussaient nombre de pays à renforcer leur indépendance énergétique en privilégiant certaines énergies alternatives.

 

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Si les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre issues de la COP 22, devront rester un moteur incontestable pour la transition énergétique, le contexte économique global a beaucoup évolué. Le baril de pétrole est désormais à moins de 50 USD.

Une inversion de la situation conjoncturelle potentiellement démobilisatrice dans un temps où le modèle économique et social échafaudé pour la transition énergétique est toujours loin d’être établi.

L’avenir des hydrocarbures reste encore pleinement ancré dans le paysage, dans un monde qui est passé en quelques années des prémices de pénurie d’énergie au trop-plein. L’horizon du peak oil est de plus en plus lointain. Une croissance économique mondiale durablement modérée amplifie l’incertitude sur les débouchés et entraîne encore plus avant la baisse des cours.

 

Le modèle économique entrevu pour la transition énergétique est sans doute à actualiser. Il est même paradoxal de noter que plus la transition énergétique progressera, plus la pression à la baisse sur les prix des hydrocarbures serait forte présentant de la sorte un meilleur avantage comparatif.  La décision de poursuivre et concrétiser les engagements en matière de transition énergétique deviendrait alors en grande partie politique. Le court-termisme alarmant de nos gouvernants n’est pas de nature à conforter les décisions et les visions d’avenir.  Cela n’est pas à proprement parler une bonne nouvelle.

Hakam EL ASRI

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Une certaine idée des Français...

De Gaulle disait que le désir du privilège et le goût de l'égalité étaient les passions dominantes et contradictoires des Français…

Un peuple pétri de contradictions n’est pas au paradoxe près !

Jugez-en…

Les Français, c’est de notoriété, aspirent à l’universalité de leur pensée et défendent bec et ongles leurs particularités et leur "exception".

Les Français, l’histoire en témoigne, ont presque incarné les principes de la République et les fondements de la citoyenneté mais se satisfont d’un régime quasi-monarchique et du désir du prince.

Les Français, rien qu’à les entendre, se targuent d’être presque les meilleurs en presque tout et s’interrogent ingénument sur le pourquoi et le comment de leurs contreperformances.

Les Français, chacun le sait, passent la moitié du temps à revendiquer la réforme et l’autre moitié à défendre les acquis.

Les Français, on le perçoit, ont l’esprit d’humour, le sens de la dialectique et le don de l’argumentation, mais sont bizarrement très peu enclins à la concertation.

Il en va ainsi des Français…

Un peuple très cartésien pour qui impossible n’est bien sûr pas français... 

Hakam EL ASRI

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Questions de confiance, crise ou bascule ?

Chacun sait que le ferment de la transaction, de l’échange et donc du commerce est bel et bien la confiance et ce depuis des millénaires.

Un effort d’extrapolation, même très mesuré, nous permet d’affirmer qu’il ne peut y avoir croissance et accomplissement économique sans confiance entre les protagonistes, et plus particulièrement, envers un certain nombre d’entre eux : les instances de représentation et de régulation. Des acteurs qui, de façon générale, se trouvent détenteurs du pouvoir d’arbitrage et dont le rôle est particulièrement important en tant que garants des règles mutuellement acceptées.

Ce type de contrat social est nécessairement fondé sur la confiance. Il ne peut y avoir délégation durable ou renoncement aux prérogatives propres -et a fortiori d’inscription dans une posture d’obéissance ou de subordination comme pour le contrat de travail- sans conviction de  légitimité et de  confiance.

La confiance change les rapports entre les acteurs parties prenantes. D’un rapport de nécessité, elle fonde la relation sur l’acceptation mutuelle, la volition, l’attrait et l’aspiration à faire ensemble.

La confiance n’est pas affaire de contingence. Si elle accepte un certain degré d’incertitude, subjective ou objective, elle suppose une connaissance préalable et un niveau de prédictibilité dans l’être et l’action.

La confiance exige pour son épanouissement une somme d’honnêteté, d’intégrité et de transparence qui met en disposition d’espérance.

D’aucuns parlent aujourd’hui de crise de confiance. Elle semble profonde et durable, elle remet en cause le discours économique, le discours politique et même le discours sur les discours au niveau médiatique. Toute initiative qui tente de rétablir la confiance se heurte elle-même au désintérêt quand ce n’est pas la suspicion. Cela semble irréconciliable.

Pourtant, la confiance subsiste toujours, elle va même crescendo et s’incarne chaque jour un peu plus dans les nouvelles formes collaboratives de travail. Le pair à pair prend progressivement le pas sur le reste et s’affranchit des médiations institutionnelles. L’échange de valeurs adopte une approche horizontale pour mutualiser ou créer la valeur. Que ce soit dans l’économie de partage ou l’économie de la fonctionnalité, le co (travail collaboratif, colocation, covoiturage, crowdsourcing, crowdfunding…) devient la griffe et le signe annonciateur de  cette confiance nouvelle. Une confiance qui paradoxalement repose sur très peu de choses, si ce n’est l’accointance du moment, la conjonction transitoire et un intérêt d'opportunité souvent éphémère.

Une crise dites-vous ? Non assurément, une bascule dont on n’a pas encore pris toute la mesure!

Hakam EL ASRI


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Ennemis d’un grand amour!

L’analyse des données et métadonnées des grands opérateurs de l’Internet nous apporte parfois des informations surprenantes.

Facebook a entrepris il y a un certain nombre d’années de cartographier les amitiés du monde.

La carte ci-dessous est issue du site Facebook stories qui présente les résultats de ce type d’interactions entre pays.  Celle-ci se rapporte aux liens qu’entretient  le Maroc (ou du moins les utilisateurs de Facebook au Maroc) avec les différents pays du monde. Le classement est particulièrement surprenant et même, oserais-je dire, la surprise est de taille : dixit Facebook, le premier pays d’accointance pour les marocains n’est autre que l’Algérie.

Un pays avec lequel les rapports officiels, interétatiques sont loin d’être apaisés.

Chacun des pays tient en grande suspicion le voisin, ou de velléités "prussiennes", ou de manœuvres diplomatiques pour l’affaiblir et lui nuire.

Chacun des pays instrumentalise, dans une triste surenchère, le moindre événement ou incident pour s’engager un peu plus dans le différend et épaissir les dissensions.

Les relations conflictuelles vont crescendo si l’on en juge par l’animosité des discours par médias officiels interposés.

Même si cela remonte aux indépendances, l’affaire du Sahara occidental est devenue l’incarnation, l’aubaine, l’apogée mais aussi le comble de cette rivalité.

L’heureuse cartographie des relations Maroco-algériennes par l’entremise de Facebook n’est pas la manifestation d’une diaspora marocaine en Algérie : 45 000 familles marocaines ont été expulsées en 1975!

Il ne s’agit pas non plus de la manifestation de relations économiques florissantes entre les deux pays ; celles-ci sont réduites à leur plus simple expression. La frontière, qui plus est, est fermée depuis 1994 sur décision algérienne.

Pourtant, l’Algérie est le premier pays en termes interactions facebookiennes pour le Maroc.

Il est vrai que tout rapproche ces deux pays : l’espace géographique, l’histoire partagée, des langues  communes, une expression religieuse unique…  Les deux pays disposent, ensemble, de réelles potentialités économiques du fait de leurs complémentarités évidentes.

Pourtant, le Maghreb est tout simplement la région la moins intégrée au monde.

Selon la Banque Mondiale, une meilleure intégration maghrébine équivaudrait à un gain de deux points de PIB pour les pays parties-prenantes. Sur la durée, c’est loin d’être négligeable.

La leçon  à tirer de cette cartographie atypique et de la bonne surprise des amitiés Maroco-algériennes est manifestement la cohérence, l’intelligence et, dans le cas présent, l’avance de phases que peuvent avoir les peuples sur leurs gouvernants. Machiavel disait : "gouverner c’est faire croire", il semble que les populations des deux pays ne soient pas si dupes.

Hakam EL ASRI

Mapping the world's friendships Morocco Algeria
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Une décapitation non décomptée !

Abul ʿAla Al-Maʿarri  était un "homme indigne, un hérétique", il vient d’être décapité !

Ce grand poète connu pour le pessimisme de sa philosophie et une vision du monde d’une infinie tristesse était, et c’est sans doute ce qui nous vaut la décapitation de sa statue, un apostat, un athée en terre d’islam. Une grande partie de sa poésie était antireligieuse. Parmi ses plus célèbres citations, celle-ci donne le ton :

 

Deux sortes de gens sur terre

Ceux qui ont la raison sans religion

Et ceux qui ont la religion sans raison

 

Ce syrien faisait malgré tout la fierté de sa ville natale Maarat al Nou’man, où il vécut isolé mais jouissant du grand respect de ses pairs. C’était la marque jadis, de la civilisation arabe. Au moyen âge, à l’heure de l’obscurantisme chrétien, les poètes et les philosophes arabes jouissaient de grands égards fussent-ils des égarés hérésiarques. Il mourut en 1057 à l’âge canonique -même aux standards actuels- de 87 ans. Il laissa une œuvre abondante  -une centaine de recueils- dont très peu nous parviendra, il est vrai que l’œuvre était quelque peu honnie.

Cet homme avait beaucoup de respect mais n’avait pas d’amis, il se voulait pourfendeur des vanités, des prétentions et des cynismes. Trop fier pour pratiquer le panégyrique auprès des princes, il faisait d’un pessimisme sombre, sa ligne de conduite et se disait triplement prisonnier : de sa cécité, de sa vie et de son insoumission.

 

Abdelaziz Kacem qui s’est penché sur sa vie cite cette anecdote : s’étant plaint auprès d’un visiteur de marque de la méchanceté de certains à son égard, il obtint cette réponse cynique : « Mais que te veulent-ils donc ? Tu leur as pourtant abandonné l’ici-bas et l’au-delà ! ».

 

Près de mille ans après sa disparition, que lui veulent-ils donc ?

En homme clairvoyant il s'était fait ce vœu :

 

Quand je périrai, ô mes amis, il me faudra absolument disparaître de ce monde

 

Et avait prédit ce qui allait advenir :

 

Peut-être dans le temple se trouverait-il des gens, qui procurent la terreur à l’aide de versets

Comme d’autres dans les tavernes, procurent le plaisir 

Hakam EL ASRI

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Déchéance ? Vous avez dit déchéance ?

Il fut un temps, pas si lointain, où pour occuper l’armée et l’opinion publique, on s’inventait un ennemi étranger... -ou on envahissait un pays d’Afrique, c’est selon !- et on en faisait une cause de souveraineté nationale.

L’ennemi de l’extérieur est un concept somme toute très commode pour créer la cohésion et l’unité du pays. “S'ériger contre” a toujours été rassembleur et le discours manichéen  “eux et nous” plus aisé pour gagner les masses.

Un jeu plus contemporain semble désormais prendre forme… rechercher l’ennemi de l’intérieur, s’en préserver, l'ostraciser, l’extirper, le bouter dehors. Retrouver l’exemption d’altération -ou d'altérité- redevient un objectif en ligne de mire… et un discours porteur, à mobiliser certes, avec plus ou moins de modération... Mais qui, chez nos gouvernants, n’abonde pas un tant soit peu ?

Tout a été dit à propos de la déchéance de nationalité pour celles et ceux qui auraient perpétrés des actes terroristes à l’égard de la République. Ceux des nôtres bien sûr, puisque pour déchoir, encore faut-il être des nôtres -avoir été des nôtre ?-… Cela est déjà suffisamment douloureux....

Tout a été dit sur l’inopérabilité de la mesure, son inconsistance et son incapacité à endiguer le mal car, pour la plupart, les postulants terroristes sont déjà en rupture.

Tout a été dit sur le risque d’induire un message contre-productif et dangereux sur le fait que nous sommes tous égaux devant les lois de la République mais que d'aucuns , semble-t-il, sont plus égaux que d’autres.

Tout a été dit sur le risque d’alimenter le discours et donner encore plus d’arguments à nos vrais “ennemis de l’extérieur” pour ressortir encore et toujours combien certains ne sont pas les “vrais enfants”  de la République puisqu’ils sont et seront toujours susceptibles de déchéance dans un temps où les amalgames et les raccourcis s’affirment pour seule connaissance et façonnent  la culture et les jugements…

Tout a été dit sur le risque d’ouvrir la boîte de Pandore, car après tout, le crime de terrorisme n’est qu’un parmi tant d’autres que recense le droit pénal français, tous aussi  infâmes les uns que les autres. Quid des crimes haineux, des crimes contre l’humanité… et pourquoi aujourd’hui s’en tenir au terrorisme… et qu’en sera-t-il demain puisqu’un précédent aura été créé…?

Tout a été dit, pourtant cela sera inscrit dans la constitution française.

Il y a là, encore, un motif légitime de trouble.

Une constitution, me semble-t-il, est autant un acte politique, un choix de destin commun qu’une loi fondamentale.  Une constitution, en dehors de son acception juridique contemporaine est tout aussi la manière dont les choses s’organisent, se créent, se constituent.

La constitution préfigure l’état nation, elle permet d’établir, d’inclure, d’intégrer. Elle protège les droits et les libertés… La constitution incarne la conscience nationale.

Nous en sommes donc aujourd’hui à l’esquisse d’une constitution qui permettra de déchoir!

Notez que le mot déchéance a la même origine étymologique que le terme décadence.

Déchoir ? Vous avez dit déchoir ?

Hakam EL ASRI


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L'esprit du fleuve

Je me souviens de ce jour où, sur le bord du fleuve Niger, non loin de Ségou au Mali, j’avais, dans une fulgurance qui venait de loin compris ce que signifiait l’esprit du fleuve.

Je me souviens de ma solitude, de la chaleur pesante, du calme alentour, des pêcheurs hiératiques, de l’eau lourde et paresseuse.

Je me souviens du moment singulier et de l’intelligibilité suspendue.

Je me souviens de la profondeur de mon ressenti, de l’envahissement et de la torpeur de l’isolement.

Je me souviens du cheminement accompli, ou était-ce l'abandon, pour me rendre disponible aux méandres du fleuve et accueillir la plénitude des sens.

Enfin, l’esprit du fleuve.

Hakam EL ASRI 


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Incurie, le mal du siècle

Je ne sais ni pourquoi, ni qui a décidé un jour que le mal du 20ème siècle était le mal de dos.

Bien lui en a pris car ce faisant, il me donne cette belle liberté de décider aujourd’hui que le mal du siècle -le 21ème, cela va sans dire- est bien l’incurie.

Je sais, les fléaux qui frappent nos pays et mettent à mal la bonne gouvernance sont légions et je n’ai que l’embarras du choix. Il y a bien sûr la corruption, le clientélisme, le népotisme -pourquoi certains le réservent à l’Afrique ?-, l’opportunisme, l’affairisme, la gabegie, le court-termisme, l’avidité et bien d’autres maux…

Mais l’incurie me semble être, autant sur le fond que sur la forme, le mal à partir duquel tout part et avec lequel tout devient manifeste. Dans son "Petit traité des grandes vertus", André Comte-Sponville avait donné à la politesse une place à part, le creuset du reste, celle qui vient en premier et qui subsiste en dernier, celle sans laquelle les autres vertus resteraient sourdes, inexprimées.

Si j’établissais un parallèle, l’incurie me semble, sur un tout autre registre, le premier des fléaux.

Le terme incurie, emprunt savant au latin, subsiste sous très peu de formes dans la langue française. C’est la négation du terme "cura" et signifie négligence, insouciance, défaut de soins…

Selon le Robert, il y avait au terme "cura" plusieurs acceptions initiales, y compris un sens amoureux… ; celui du soin, du traitement qu’on retrouve encore dans le verbe anglais ‘to cure’ ou en français dans le mot curatif ou encore cures thermales ; le dernier sens étant ecclésiastique, le mot désigne la direction spirituelle, dont subsiste aujourd’hui l’appellation de "curé" : celui qui a la charge des âmes.

Vous y êtes, n’en avoir cure pour un responsable, gouvernant ou commis de l’état -y en a-t-il encore qui soit grand ?-, c’est abandonner la vision ou la concevoir médiocre. C’est perdre l’idéal, cette ambition collective qui nous meut et nous donne le sens de l’action. C’est abandonner le pouvoir d’agir pour s’en tenir aux prérogatives. C’est délaisser la charge pour le statut.  C’est momifier les missions en tâches et restreindre la créativité en processus désincarnés. C’est suspendre les décisions, encore et encore... Et quand elles interviennent, c'est autant de diktats, celle de l'urgence, cela va de soit, mais aussi l'absence d'arguments ou d'explications du bien fondé, à quoi bon? En somme, c’est empêcher le travail parce qu’on en a le pouvoir et qu’on en a cure…

L’incurie, c’est ne plus prendre soin, c’est ne plus avoir la charge des âmes, mettre l’humain à l’écart, là où il devrait être au centre.

Oui, l’incurie est à l’ordre du jour en ce début de siècle, en toute impunité qui plus est !

Hakam EL ASRI


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Désirs d'ironie

L’année nouvelle ne manque pas de rimes

Question d’humeur, vous pourriez trouver légitime

Qu’après 2015, on ferme la parenthèse

Et que désormais en 2016

s’incarne l’ascèse ou l’exégèse

voire même la genèse

d’un je ne sais quoi d’unanime

Vous pourriez… plus magnanime

nous dire d’un air enjoué et sublime

que diantre, arrêtez vos fadaises

L’année nouvelle, rime à l’aise

avec un aussi joli mot que baise

Nous pourrions aussi bien en prime

en instaurer formellement le régime

D’un gros mot… La loi ultime ?

Que nenni, qu’à chacun ne plaise

et à nos majestés ne lèse

Embrassons-nous sans intime

Il n’y a là point de crime

Encore que…  histoires de thèses

Je vous le dis, de nos foutaises

on n’en a pas fini en 2016.

 

Avec mes vœux

Hakam EL ASRI


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Charlie, être ou ne pas être

Devoir se situer sur la question du “je suis Charlie” est une question purement franco-française.  Il faut finir par l'assumer. On est pleinement dans l’éthnocentrisme. Loin des positions quelque peu manichéennes d’être ou ne pas être Charlie,  le débat se rapporte à une certaine vision du monde avec le prisme si particulier de la culture. Il ne s’agit pas là d’une question universelle, encore moins d’une question d’humanité. Elle reste néanmoins importante. D’autant plus importante qu’elle relève de valeurs et principes intangibles au peuple français et à son histoire propre. Elle peut à la rigueur faire débat pour ceux qui partagent -peu ou prou- cette vision, sans impliquer la nécessaire prise de position, le jugement de valeur, le déni d’expression ou l’inféodation culturelle… 

L’attentat, l’indéniable barbarie, se rapporte, lui, à des questions universelles, sans doute celle de la tolérance, celle de la liberté de conscience, celle de la valeur humaine... Le “je suis Charlie”se rapporte à la laïcité française,  à une acception de la liberté d’expression, le droit à l'offense, la place des religions...  avec des perceptions typiquement françaises… Libre à chacun de s’en distancer.

Hakam EL ASRI

 


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Juste merci

 

Merci à ceux qui nous méprisent

Ils nous stimulent et nous donnent des ailes

 

Merci à ceux qui nous ignorent

Ils sacrent notre présence et notre raison d’être

 

Merci à ceux qui ravissent nos valeurs

Ils nous les rendent précieuses et hissent  notre pensée

 

Merci à ceux qui tuent l’élan de dignité

Ils nous rendent notre honneur et notre sentiment de fierté

 

Merci à ceux qui nous réduisent au mutisme

Ils nous laissent la parole rare et nous offrent le silence

 

Merci à ceux qui nous quittent

Ils nous libèrent et nous rendent à nous-mêmes

 

Merci à ceux qui nous dupent

Ils préservent notre candeur et notre accès au merveilleux

 

Merci à ceux qui nous offensent

Ils nous renforcent et exaltent notre grandeur

 

Merci à ceux qui nous divisent

Ils nous permettent le don d’amour et l’expression de solidarité

 

Merci à ceux qui immolent  la liberté

Ils nous ouvrent des espaces auxquels ils n’auront jamais accès

 

Merci encore,  face aux tourment de  la barbarie

Il y aura toujours le souffle et  la grâce des hommes

 

Hakam EL ASRI 


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