Incurie, le mal du siècle

Je ne sais ni pourquoi, ni qui a décidé un jour que le mal du 20ème siècle était le mal de dos.

Bien lui en a pris car ce faisant, il me donne cette belle liberté de décider aujourd’hui que le mal du siècle -le 21ème, cela va sans dire- est bien l’incurie.

Je sais, les fléaux qui frappent nos pays et mettent à mal la bonne gouvernance sont légions et je n’ai que l’embarras du choix. Il y a bien sûr la corruption, le clientélisme, le népotisme -pourquoi certains le réservent à l’Afrique ?-, l’opportunisme, l’affairisme, la gabegie, le court-termisme, l’avidité et bien d’autres maux…

Mais l’incurie me semble être, autant sur le fond que sur la forme, le mal à partir duquel tout part et avec lequel tout devient manifeste. Dans son "Petit traité des grandes vertus", André Comte-Sponville avait donné à la politesse une place à part, le creuset du reste, celle qui vient en premier et qui subsiste en dernier, celle sans laquelle les autres vertus resteraient sourdes, inexprimées.

Si j’établissais un parallèle, l’incurie me semble, sur un tout autre registre, le premier des fléaux.

Le terme incurie, emprunt savant au latin, subsiste sous très peu de formes dans la langue française. C’est la négation du terme "cura" et signifie négligence, insouciance, défaut de soins…

Selon le Robert, il y avait au terme "cura" plusieurs acceptions initiales, y compris un sens amoureux… ; celui du soin, du traitement qu’on retrouve encore dans le verbe anglais ‘to cure’ ou en français dans le mot curatif ou encore cures thermales ; le dernier sens étant ecclésiastique, le mot désigne la direction spirituelle, dont subsiste aujourd’hui l’appellation de "curé" : celui qui a la charge des âmes.

Vous y êtes, n’en avoir cure pour un responsable, gouvernant ou commis de l’état -y en a-t-il encore qui soit grand ?-, c’est abandonner la vision ou la concevoir médiocre. C’est perdre l’idéal, cette ambition collective qui nous meut et nous donne le sens de l’action. C’est abandonner le pouvoir d’agir pour s’en tenir aux prérogatives. C’est délaisser la charge pour le statut.  C’est momifier les missions en tâches et restreindre la créativité en processus désincarnés. C’est suspendre les décisions, encore et encore... Et quand elles interviennent, c'est autant de diktats, celle de l'urgence, cela va de soit, mais aussi l'absence d'arguments ou d'explications du bien fondé, à quoi bon? En somme, c’est empêcher le travail parce qu’on en a le pouvoir et qu’on en a cure…

L’incurie, c’est ne plus prendre soin, c’est ne plus avoir la charge des âmes, mettre l’humain à l’écart, là où il devrait être au centre.

Oui, l’incurie est à l’ordre du jour en ce début de siècle, en toute impunité qui plus est !

Hakam EL ASRI


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Commentaires: 1
  • #1

    Laneyrie Jean-Marie (mercredi, 02 mars 2016 11:37)

    Très beau texte, fort de sens et de compréhension de notre contexte actuel et des maladies des gouvernants, des gouvernances et du mode managérial.
    Dans l'attente d'un prochain billet.