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Sens singulier 1. Une expression de complexité ? Hakam EL ASRI
Sens singulier 1. Une expression de complexité ? Hakam EL ASRI

Chacun de nous a sans doute fait le constat -ou l’expérience- qu’il devient de plus en plus difficile d’interagir harmonieusement avec un système environnant, que nous avons pourtant largement contribué à concevoir. C’est là le résultat naturel de notre tropisme à la complexité. Nous pourrions indéfiniment -et à juste titre- nous interroger avec Edgar Morin sur le pourquoi de ce mal-ajustement. Désormais, le nombre toujours grandissant des entités en action, et donc en interaction dans l’environnement humain, nous empêche d’en prévoir l’évolution ou la rétroaction. Notre monde complexe devient tout aussi incertain et jusqu’à un certain point incontrôlable... –vous comprendrez pourquoi on parle de plus en plus de surprises !-

La sensation de dépassement, de perte de maîtrise ou de défaut de compréhension, fait renoncer certains -à vrai dire de plus en plus nombreux- à cette intelligibilité nécessaire et ils s’en trouvent par la même marginalisés. Ce ne sont pas leurs capacités qui sont en cause, ce ne sont pas leurs représentations qui sont devenues caduques ; leur renonciation vient de systèmes complexes auxquels nous sommes confrontés et auxquels nous sommes manifestement peu préparés. La renonciation peut tout aussi provenir d’une sollicitation sans commune mesure avec le bénéfice escompté (un temps et une énergie que nous sommes peu disposés à consentir).

Différentes théories mathématiques ou fonctions algorithmique tentent d’analyser la nature et le degré de complexité.  Selon la théorie de Kolmogorov -une parmi d’autres-  “est complexe ce qui ne peut se décrire brièvement”. Ce postulat, qui s’apparente à première vue à un simple truisme, se rapporte à un type de complexité propre à notre temps et concerne la quantité d’informations qu’un objet contient, peu importe le formalisme choisi. Notre monde -et l’ensemble de ses constituants- ne peut être décrit de façon brève, son évolution ne peut être prédite avec des règles simples et linéaires. Nous sommes de plus en plus dans un monde “non connaissable”. Même le discours scientifique censé nous en permettre l’élucidation et nous en faciliter l’intelligibilité devient ambivalent et hermétique. D’un point de vue cognitif, c’est l’incertitude qui émerge et l’homme en est grandement responsable. Nous avons établi le cadre d’une marche effrénée vers toujours plus de sophistication. Le fondement en est simple, et d’un certain point de vue archaïque. L’idée de progrès : une quête de l’Eden dans un monde terrestre à parfaire...

Comment alors se sortir de cette dynamique « de rétroaction positive » d’un système qui se renforce continûment et dont certains -les tenants de l’entropie sociale- nous prédisent une évolution constante et irréversible vers le chaos.

Déjà à partir des années 1920, le mouvement artistique Bauhaus avait tenté un mouvement de synthèse des arts plastiques, de l’artisanat et de l’industrie avec l’idée essentielle de la simplicité et un principe fondamental de la forme-suit-la-fonction. La volonté du Bauhaus était de produire des objets universels, qui transcendent les frontières, les cultures et les classes sociales. La nouvelle unité de l’art et la technique devait se traduire dans un élan de sobriété et une simplicité fonctionnelle permettant de nouvelles conditions de travail et de vie.

Le mouvement jugé par trop moderniste -et dans la foulée collectiviste- fut mis à mal par le régime nazi à partir de 1936. Colin Bisset, qui a écrit à ce propos, pointe d’ailleurs non sans dérision "La menace de la simplicité" face au régime autoritaire !

Aujourd’hui, quasiment un siècle plus tard, la propension de l’homme au complexe et par ricochet la quête de la simplicité sont toujours à l’ordre du jour.

Je note avec une certaine satisfaction que l’essor de la facilitation semble en marche. J’en prends pour preuve la démarche FALC (Facile à Lire et à Comprendre). Une méthode qui cherche à produire des documents accessibles dans le but de faciliter la lecture de personnes dyslexiques, malvoyantes, illettrées ou maîtrisant mal la langue écrite. La portée du FALC dépasse la question du handicap ou de la déficience. Il s’agit de produire un langage moins sophistiqué, moins conceptuel qui permette l'accès à la compréhension du plus grand nombre…

Le FALC est d’ailleurs un élément quelque peu paradoxal de ce mouvement vers la simplicité. Il est à la fois l’illustration de l’excès dans la marche vers la complexité mais aussi la réponse dans une autre forme d’excès vers la simplicité avec les écueils de l’appauvrissement, les risques de la simplification et la réduction…

Sur un tout autre registre, j’ai eu l’occasion d’intervenir il y a peu sur le concept d’utilisabilité, une autre démarche de facilitation très en cours dans les milieux web et plus globalement ceux qui élaborent des interfaces homme-système avec pour objectif de faciliter ce type d’interaction et d’augmenter la satisfaction de l’utilisateur.

Définie du point de vu de l’utilisateur, l'utilisabilité détermine le potentiel d'un produit à atteindre les buts -y compris qualitatifs- de l'utilisateur. Le concept est plus particulièrement mobilisé dans le domaine des technologies de l'information, il me semble tout aussi porteur dans l’ensemble des domaines qui relient un système, quel qu’il soit, et le cognitif humain.

L’utilisabilité va plus loin que la seule facilité d’usage. Nielsen (1994) situe la notion au sein d’un concept plus large d’acceptabilité autant pratique que sociale. L’utilisabilité englobe un certain nombre de caractéristiques telles que l’efficience avec la double dimension de l’utilité et de l’efficacité et donc l’atteinte des objectifs avec des moyens optimisés ; la satisfaction -de l’expérience utilisateur-, la fiabilité –et la réduction du nombre d’erreurs et de défaillances- ainsi que la facilité d’apprentissage -learnability-  et la facilité d’appropriation -memorability proficiency-. Toute choses en rupture avec la tendance fâcheuse du " pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué" et qui participent d’une accessibilité plus grande.

La transposition de la dynamique d’utilisabilité dans le champ plus large des cadres systémiques -en réalité l’intégralité de nos cadres d’intervention- peut se révéler assez féconde en particulier si on la complète, de mon point de vue, de deux dimensions supplémentaires.

La première se rapporte à l’intégration optimisée d’un produit, d’une application -ou toute autre fonction exécutable- dans un environnement dédié. Il y a donc lieu de considérer avantageusement le niveau d’adéquation -définie comme la qualité de ce qui est exactement approprié- à l’environnement. De cette adéquabilité naîtra un rapport "de convenance et de correspondance" comme disent les philosophes. Une harmonie avec le système qui le fait évoluer vers les objectifs souhaités sans pour autant inscrire les ruptures -à moins qu’elles soient recherchées !- La notion d’utilisabilité s’en trouvera plus à même de tenir compte de façon encore plus explicite des dynamiques des écosystèmes en jeux.

La seconde dimension me semble tout aussi indispensable dans un monde qui a entamé sa transition écologique. Le constat est fait, notre environnement, notre temps… sont chaque jour plus encombrés, saturés, notre attention chaque jour plus sollicitée. En matière d’utilisabilité, il me semble encore plus pertinent de s’interroger non sur l’utilité des choses qui nous environnent mais plus loin sur leur nécessité. La transition écologique nous impose désormais de s’inscrire dans une économie de sobriété. N’entreprendre, ne réaliser que le strict nécessaire serait une grande avancée vers la frugalité et sans doute vers la simplicité.

Encore faut-il connaître l’état de nos besoins… et donc de nos désirs, ceux-là même que conditionnent nos frustrations…

La tâche n’est pas de tout repos, elle est même un tantinet complexe !

Hakam EL ASRI

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Commentaires: 2
  • #1

    St Ex (jeudi, 15 décembre 2016 13:46)

    Une citation de Saint-Exupéry: La perfection est atteinte, non pas lorsqu'il n'y a plus rien à ajouter, mais lorsqu'il n'y a plus rien à retirer.

  • #2

    Jocelyn B (lundi, 16 janvier 2017 11:08)

    Simplexité... à considérer
    Selon Wikipédia:
    La simplexité est une notion émergente d'ingénierie et des neurosciences sur l'"art de rendre simple, lisible, compréhensible les choses complexes" 1.
    De même que "complexe" ne doit pas être confondu avec "compliqué", "simplexe" ne doit pas être confondu avec "simple" 2.
    Une "chose simplexe" est une "chose complexe dont on a déconstruit la complexité que l'on sait expliquer de manière simple" 3.
    Rendre "simplexe un objet artificiel" est un "processus d'ingénierie complexe consistant à rendre simple et épuré un ensemble puissant de fonctionnalités" 4.